LES MAL-AIMÉS (EXTRAIT)
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La rue est un monde. À Rio comme à Montréal, elle est
rarement un choix, constate la psychiatre brésilienne Ligia Costa Leite.
C'est l'heure de midi sur la rue Sainte-Catherine, l'artère
principale de Montréal. Une jeune de 16 ans, assise par terre, tend la main en me
disant : « Bonjour, un peu de change ? ». Peau blanche,
cheveux bruns coupés court, avec une mèche longue et colorée, son
visage est très serein. Elle porte des vêtements de style punk. La
scène m'intrigue, mais je poursuis mon chemin.
Plus loin, je rencontre un groupe de 15 jeunes, semblables dans leurs
habits punks, couchés sur le gazon. Ceux-là, c'est clair, consomment de la
drogue. Au Brésil, nous les appellerions des enfants de la rue. Ici à
Montréal, on les appelle des itinérants.
Les passants sont plus dérangés par leur aspect que par
leurs actes d'infractions. Au contraire du Brésil, ces jeunes Montréalais
ne sont pas violents. Mais pourquoi restent-ils dans les rues, parfois même par -20
ou -30 °C ?
Ce ne sont pas des défavorisés sociaux, comme le sont
les enfants de la rue du Brésil, mais des défavorisés affectifs.
Des données officielles révèlent qu'entre 1996 et 1998, sur 517 jeunes
itinérants de Montréal, 58 % provenaient de familles aisées et 72 %
étaient financièrement aidés par leur famille.
Quarante pourcent d'entre eux ont essayé de se suicider. 20 %
d'autres ont fait une overdose. Sur ces 517 jeunes, 31 sont décédés
(6 %).
Les jeunes qui aboutissent dans les rues de la métropole
canadienne ne fuient pas la misère. Leurs cheveux et leurs vêtements sont
autant de signes d'une « esthétique » de l'itinérance,
une manière de signifier leur contestation face au système.
Les spécialistes avancent plusieurs hypothèses pour
expliquer leur itinérance. [...]
Dans la rue, ces jeunes trouvent des personnes qui les écoutent
et assume un rôle « maternel » - notamment les
intervenants sociaux. D'autres, sans le savoir, jouent le rôle de l'autorité,
du père absent : les policiers, les commerçants, tous ceux que les
jeunes associent à la « loi ».
En observant ces jeunes montréalais, je ne peux m'empêcher
de comparer leur vie à celle des enfants du Brésil. Je pense à
August. Je pense aussi à
Sergio ou Sandro, on ne sait pas exactement son nom, un jeune homme qui a trouvé
la mort dans l'autobus 174 à Rio de Janeiro, le 12 juin 2000. Survivant de tant de
batailles, son rendez-vous avec la mort a été transmis en direct à
la télévision.
Pour les jeunes de la rue, qu'ils vivent au Brésil ou au Canada,
la mort est d'ailleurs un destin prévisible. Mais il y a de grandes
différences : on peut se demander s'il n'existe pas, parmi les jeunes en
Occident, un désir latent de mourir, plus fort que le choix de la vie. Car ces
jeunes peuvent compter sur une aide du gouvernement, l'école, l'accès
à des soins de santé, etc..
À l'inverse, à Rio, la vie est le seul bien des enfants
des rues. Ils s'attachent à elle de toutes leurs forces. Un combat solitaire et
constant, le signe d'une grande créativité. Voilà pourquoi je
défends la thèse que ces enfants du Brésil sont des
« invincibles culturels ». D'un côté, ils n'ont pas
été vaincus par la société, qui n'a pas réussi à
les encadrer dans le modèle de la « citoyenneté
conformiste «. De l'autre, ils n'ont pas convaincu la société de
les accepter avec leurs caractéristiques culturelles propres. Le résultat
donne lieu à une lutte urbaine où les enfants utilisent toutes leurs forces
pour survivre, sans grande chance de réussite comme le démontrent les
statistiques de Rio. [...] ©EQm
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