LA MAISON DES ENFANTS
Les enfants pauvres du quartier n'avaient pas d'école. Ils ont
aujourd'hui leur maison.
Huit heures du matin. Suryé et Bubble viennent à la Maison des Enfants.
Ce matin, Suryé n'a qu'une idée en tête : faire le « jeu des
additions ». Il aimerait aussi jardiner. « Mais je ne veux pas faire le
ménage », dit-il en arrivant. « Chacun doit participer,
sinon ce n'est pas juste », répond la monitrice.
C'est seulement depuis notre arrivée, en septembre 2000, qu'une Maison des Enfants
existe dans un quartier d'intouchables de Bangalore, dans le sud de l'Inde. Une toute petite
maison, comme celles qu'habitent les gens de basses castes. Claire et moi avons commencé
avec cinq enfants et quatre jeux en carton fabriqués avec du matériel de
récupération. Claire assumait aussi notre vie par un travail extérieur.
Nous sommes arrivées en Inde, riches de 25 ans d'expériences accumulées
par la Communauté du Pain de Vie dans
l'éducation des nouveau-nés jusqu'à six ans. Les Maisons des Enfants,
qui s'inspirent de la méthode Montessori, ont commencé avec les enfants de nos
proches ou ceux des familles que nous accueillions. Puis d'autres maisons se sont ouvertes
dans les pays oú rien n'est conçu pour la petite enfance des quartiers pauvres.
Aujourd'hui, il en existe une quarantaine : dans des bidonvilles (Pérou, Brésil,
République Dominicaine), en brousse (Cameroun, Bénin, Togo), dans des villages
ou des zones urbaines du quart-monde (France, Pologne, Niger, Algérie, Allemagne,
Roumanie). Il y en aura même une, dès l'été 2004, sous la tente de
nomades africains (voir le dossier Sagesse des Peuples) !
Ingénieurs, médecins, artisans, enseignants : quels que soient les pays dans
lesquels ces maisons s'implantent, les enfants qui ont la chance d'y passer atteignent ensuite
un très bon niveau scolaire. Une preuve, s'il en fallait une, qu'il faut peu pour
permettre aux plus démunis d'acquérir eux aussi l'instruction et les diplômes
qui changent une vie, dans le respect de leur culture !
Car les Maisons des Enfants, c'est d'abord une insertion locale : elles sont vite
encadrées par des monitrices issues de préférence de ces milieux très
pauvres. « Quand j'ai commencé, raconte Ielil, je ne savais ni lire ni
écrire l'anglais. Je ne disais rien. J'écoutais Sr Jeanne parler aux enfants.
Peu à peu, j'ai pris confiance en moi et je me suis lancée. Et j'ai appris à
utiliser le matériel inspiré de Montessori. »
« Nous avons créé des fiches qui expliquent l'utilisation du
matériel sous forme de bande dessinée, avec des phrases simples. Cela permet
aux futures monitrices de ne pas oublier ce qu'elles ont appris ou d'enseigner à
d'autres », explique Cecilie, qui est à la Maison des Enfants depuis un an.
« J'ai dû apprendre à compter pour pouvoir faire les courses,
raconte Velli, une maman. Au début, les commerçants me rendaient mal la monnaie.
Aujourd'hui, j'arrive même à faire baisser les prix. »
Les enfants travaillent individuellement sur des nattes avec des jeux, ou en suivant un
système de fiches pour les plus grands de 5-6 ans. Chaque jour, ils savent qu'ils
doivent faire au moins deux travaux de mathématiques, un travail de
lecture-écriture, un en éveil et un en kannada, la langue officielle de
l'État du Karnataka dont Bangalore est la capitale. Chacun organise sa journée
comme il veut, du moment que le travail est fait. Les enfants indiquent l'avancée de
leurs travaux sur des panneaux au mur. Cela leur permet de se repérer et de savoir ce
qu'il leur reste à accomplir.
Un atelier de travail manuel offre dessin, couture, peinture et découpage. Tenu par
des volontaires de passage, il reste ouvert sur la cour de la maison. Les enfants y viennent
quand ils le veulent dans la journée. « On aide à la cuisine et pour le
ménage. On lave les torchons et les nattes de travail. On peut même prendre une
douche si on veut », dit Shalini, six ans.
Près de la moitié des familles qui mettent leurs enfants à
la Maison des Enfants n'ont pas de
quoi leur donner un repas par jour. Les repas du matin et
du midi sont donc gratuits et très complets. Les mamans viennent cuisiner à
tour de rôle. Elles ont appris à le faire sans trop d'huile ni d'épices
fortes. Quand elles se sont rendu compte que leurs enfants mangeaient les plats qu'ils
refusent à la maison, elles ont commencé à s'interroger. Maintenant,
beaucoup préparent deux plats chez elles : un très épicé pour
les adultes, et un autre sans épices fortes pour les plus petits. « Nous
avons aussi appris à faire bouillir l'eau pour qu'elle soit potable. Les enfants ne
souffrent plus de diarrhées ni de fièvres », dit Rihanna, une maman.
Les monitrices du quartier ont commencé avec une petite rémunération.
« Je gagne maintenant 1 700 roupies (29 €, 48 $ CAN) par mois, dit
Ielil.
C'est assez pour vivre dignement. Je parviens même à mettre un peu d'argent de
côté pour ma famille. » » Le quartier n'est pas vieux,
explique Jodhi. Il s'est constitué des familles venant des campagnes environnantes.
On parle donc tamil, ourdou, malyalam, kannada, telugu. Le défi pour nous est
d'apprendre l'anglais à nos enfants pour qu'ils aient une ouverture sur le monde,
tout en protégeant notre langue maternelle. »
Le chômage et la promiscuité ont attisé les haines raciales, et bien
sûr, l'alcool n'a rien arrangé. Très vite, le quartier est devenu violent.
« L'engagement des uns et des autres à la Maison des Enfants a
recréé des liens entre les gens, dit la maman de Teherine. On a maintenant un
projet commun, on veut que nos enfants s'en sortent et on leur donne le meilleur de
nous-mêmes. »
« Nous nous sommes aussi mis à prier ensemble, dit Ielil. Tous les
matins nous nous retrouvons avant le travail : hindous, musulmans, chrétiens,
pour offrir à Dieu notre journée. Ça ne s'était jamais vu dans le quartier.
On chante, on lit la Parole de l'Ancien Testament ou des Psaumes, on fait silence
ensemble. raquo;
Il y a maintenant 23 enfants et 4 monitrices à
la Maison des Enfants de Bangalore.
Le groupe a grossi et dès les débuts, les jeux ont manqué. Claire a
alors lancé
l'Atelier de fabrication de matériel. Depuis, les mamans ont
demandé d'ouvrir une structure dans un autre endroit du quartier. C'est comme une
grande famille qui s'élargit. Leur travail est rendu possible parce que des écoles
ou des paroisses comme celle de Sainte-Marie à Autun en France ou Fayt-les-Manage en
Belgique, ainsi que des familles en Inde ou ailleurs, financent les rémunérations
et la nourriture des enfants en organisant des kermesses ou des ventes de gâteaux. Peu
de gros dons, mais plutôt des petits partages réguliers qui permettent de
continuer. « Des gens nous ont mis en route, dit Cécilie. C'est maintenant
à nous de redonner ce que nous avons
reçu. » ©EQm
Pour informations :
Maison des Enfants,
9 place Verte,
59 300 Valenciennes, France
info@maison-des-enfants.org
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L'ATELIER À l'origine, c'est la
situation financière de Susai-Mary, une « ragpicker »
(trieuse de poubelles) qui nous a poussées à démarrer l'Atelier,
conçu comme une vraie « mini-entreprise ». En lui donnant un salaire,
nous la rendions capable d'assumer les frais de scolarité de ses enfants et d'acheter
un peu de nourriture. C'est ainsi que nous avons commencé à créer et
à fabriquer du matériel pédagogique Montessori ainsi que des jeux
éducatifs.
Nous avons commencé avec 200 Rs (4 €, 7 $CAN), dans notre petite salle à manger,
sans table ni chaise, avec une paire de ciseaux, de la colle et un double
décimètre... Les travailleuses ne savaient pas écrire. Mais elles ne
savaient pas non plus coller, « scotcher », encore moins tirer un trait,
pas plus que colorier... Elles collaient les étiquettes-mots en vérifiant la
forme du mot sur un modèle !
Aujourd'hui, quatre personnes travaillent à plein temps, et nous produisons 71
références différentes : des images séquentielles, des jeux
pour apprendre la géographie, des petits livres de lecture, d'écriture, pour
l'apprentissage du langage, des mathématiques. Ces jeux disponibles sont
déjà vendus en France et dans plusieurs écoles en Inde.
Grâce à ce travail, ces mamans gagnent un salaire ; elles reçoivent
une formation, se découvrent capables d'apprendre et évoluent sur bien des plans
(hygiène, éducation des enfants, langue...), savoirs qu'elles retransmettent
à leurs enfants. Nos horaires de travail et les vacances sont d'ailleurs
aménagés pour que chaque mère prenne d'abord soin d'eux.
LE RETOUR DE STELLA SUSAI-MARY, à l'Atelier depuis
deux ans et demi.
« Ma fille Stella, sept ans, est revenue de l'orphelinat où mon mari
et moi nous l'avions placée. C'est une grande joie, même s'il faut se serrer
dans la maison ! Beaucoup de familles abandonnent leurs enfants parce qu'elles n'ont pas
de quoi les nourrir ou parce que la maison est trop petite. Chez nous, dix personnes dorment
dans une pièce de cinq mètres sur deux, avec les grands-parents et les deux
cousins de mon mari sourd-muet. On dort en boule !
Quand j'ai commencé à travailler à l'Atelier, j'ai tout de suite voulu
récupérer ma fille. L'orphelinat disait qu'elle était mieux avec eux...
Je savais que c'était faux : ma fille s'est sauvée plusieurs fois, elle
voulait revenir. Alors, on est arrivé à une entente : ils gardent l'argent
du parrainage qu'ils reçoivent pour elle jusqu'à 18 ans, et je me tais !
Je sais, ce n'est pas très juste... mais au moins, Stella a pu revenir à la
maison ! »
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