LE PAIN DES PAUVRES, LE « BLÉ »
DES RICHES
Une boulangerie de Toronto où des pauvres apprennent à
d'autres pauvres à s'en sortir.
Les grands journaux de Toronto (Globe & Mail, Star et Life) ont
récemment classé notre Boulangerie Saint John parmi les meilleures de la
métropole canadienne. Cette histoire a commencé il y a plus de dix ans,
quand un homme surnommé Donut Joe s'est installé dans une automobile
abandonnée en face de la Mission Saint John the Compassionate, un lieu d'accueil
des plus pauvres maintenant associé à l'Église orthodoxe.
D'origine hongroise, Donut Joe est devenu boulanger à onze ans.
Quand son mariage s'est écroulé, Joe a emménagé dans sa
voiture. Il a tout perdu sauf sa passion pour le pain. Aussi nous a-t-il proposé
d'en faire pour nourrir les affamés qui arrivent à la Mission et pour qui le
pain manque toujours.
Quelques années plus tard, des Français sont venus nous
aider à mettre au point recettes et techniques. Puis des gens de Toronto sont
allés en Bretagne pour apprendre les secrets du pain artisanal traditionnel.
Ces échanges ont fait travailler ensemble des personnes pour le moins originales,
comme Claude, un ancien « accro » de l'héroïne qui a
perdu une jambe dans les rues de Strasbourg à cause du froid, ou Angela, accueillie
à la Mission après un grave accident de moto.
Avec leur aide, nous avons cherché à rentabiliser notre
affaire avec un investissement insignifiant, peu de matériel, et de nombreux
défis personnels : comment les relever dans la société
hyper-performante de Toronto ? Notre premier four a coûté moins de 200
$CAN (120 €). Il a fallu une journée entière et six personnes pour
l'installer, et la plupart de ceux qui nous aidaient ce jour-là étaient
saouls ! Qui aurait cru que quelques années plus tard, la boulangerie
fonctionnerait six jours par semaine, produisant plus de 1 200 pains de douze sortes
différentes ?
L'actuelle responsable de la boulangerie, Estelle Best, est
comme son nom l'indique la meilleure ! Après une longue lutte contre la
dépendance, Estelle nous a rejoints et dit souvent : « Le pain me
parle. » Elle montre une grande compassion envers ceux qui choisissent de
travailler à la boulangerie et qui veulent reprendre pied dans la vie.
Aujourd'hui, la boulangerie emploie six personnes et 25
bénévoles. Les bénéfices sont partagés en fonction des
besoins et des responsabilités. Des jeunes de la rue, des chômeurs, des
handicapés, d'anciens dépendants et même quelques prêtres y ont
travaillé. La boulangerie dirige aussi un programme d'apprentissage de six mois
pour les personnes bénéficiant du bien-être social.
L'un de ses objectifs est de soutenir des entreprises qui veulent offrir
des alternatives aux monopoles des grandes multinationales. Ainsi nous achetons notre
farine à une entreprise familiale; notre miel provient d'un monastère
local et nos oeufs sont produits par une communauté mennonite. Tous nos
ingrédients sont certifiés biologiques. La boulangerie s'efforce aussi
d'apprendre aux citadins à connaître l'origine des aliments en organisant
chaque année une excursion vers ces petits producteurs.
Nos pains coûtent cher, en raison de la qualité
exceptionnelle des ingrédients. Beaucoup de nos clients sont donc des gens
aisés. D'où notre devise : « Aider les pauvres à
vendre aux riches ! »
Le vrai défi est d'unir, par l'esprit et par le cur, deux
éléments qui semblent souvent incompatibles en affaires. En effet, nous
sommes une véritable entreprise : le pain doit toujours être excellent
et livré à temps. Mais nos travailleurs sont fragiles, ils réclament
beaucoup de soutien et de patience. Un jour, Nicholae, notre boulanger ermite serbe,
ancien planteur d'arbres, s'est retrouvé collé au mur par un
confrère français exaspéré. Ainsi va la
vie... ©EQm
|